Talents

Né avant l’été, succès programmé? (2011)

La distribution des mois de naissance des joueurs engagés dans les équipes nationales espoirs est sans équivoque: les sportifs nés au cours des six premiers mois de l’année sont plus souvent sélectionnés. Description d’un phénomène, celui de l’effet de l’âge relatif, et de son impact sur la réussite sportive.
Talents
Dans les équipes nationales M15-M18, presque la moitié des joueurs sont nés au cours du premier trimestre.

Le fair-play et l’égalité des chances sont des valeurs primordiales dans le sport de performance de la relève. Pour les respecter, les jeunes sont répartis dans des classes d’âge définies en fonction des années de naissance (p. ex. moins de 15 ans, moins de 16 ans, etc.).

Cette distribution, a priori logique et équitable, est en fait extrêmement problématique puisqu’il arrive qu’il y ait de grandes différences entre les sportifs d’une même classe d’âge. Ainsi, un joueur né début janvier aura un net avantage de maturité par rapport à un joueur né vers la fin de l’année de sélection (en décembre).

La différence d’âge, qui peut atteindre une année, correspond, par exemple, chez un enfant de six ans à 18% de la durée de vie. Les conséquences de ce phénomène sont appelées «relative age effect» (RAE), en français effet de l’âge relatif (Musch & Grondin, 2001).

Un cercle vicieux

Les joueurs les plus âgés ont une avance, en termes de développement, qui se traduit par une meilleure compréhension du jeu, une meilleure vision d’ensemble et une meilleure performance globale (Williams, 2000). Au plan physique, cet avantage se répercute sur la taille et la masse musculaire. Au plan psychique, il a également un impact positif sur la performance.

Du fait de leurs meilleurs résultats, ces joueurs ont tendanciellement plus de chance d’être considérés comme des talents par les entraîneurs. Et, par conséquent, plus de chance de faire partie d’une sélection, de bénéficier de meilleures mesures d’encouragement et de recevoir davantage de feed-back positifs des entraîneurs, de leur famille et de leurs coéquipiers.

Ces retours d’informations augmentent la motivation et la disposition à s’impliquer corps et âme dans le sport de compétition. Le temps consacré à l’entraînement et le niveau de jeu – tous deux plus élevés – les partenaires de jeu et le suivi à l’entraînement – tous deux de meilleur niveau – contribuent à bonifier encore les performances.

Ce cercle vicieux (voir fig. 1) débouche, avec le temps, sur la perte de talents potentiels étant donné que les joueurs discriminés par l’effet de l’âge relatif tendent à décrocher (Helsen, Starkes & Van Winckel, 1998).

Graphique
Fig. 1: Conséquences de «l’effet de l‘âge relatif»

Fréquent dans le football suisse

L’effet de l’âge relatif est un phénomène qui touche de nombreux sports. Des études scientifiques ont notamment été menées dans les milieux du tennis, du volleyball, du hockey sur glace et du football. Leurs conclusions: plus le sport est exigeant sur les plans physique et psychique, plus le RAE joue un rôle important.

Et plus le sport compte de pratiquants, plus cet effet s’amplifie. Or, dans l’univers du ballon rond, ces deux phénomènes se conjuguent. Le football est un sport dur – physiquement et psychiquement – et il fait de plus en plus d’émules auprès des jeunes, notamment en Suisse.

Effet de l’âge et ses implications

En Suisse, les dates de naissance de la population sont uniformément distribuées sur toute l’année. On pourrait donc logiquement penser qu’il en va de même pour celles des jeunes talents.

Mais si on les compare avec les dates de naissance des joueurs des équipes nationales M15-M18 (n=472) des trois dernières années et celles des joueurs qui s’entraînent dans le cadre de la promotion des espoirs J+S (n=2025), on constate une énorme différence entre la distribution des joueurs nationaux et celle de la population (voir fig. 2).

Pour représenter le RAE, nous avons divisé l’année en quatre trimestres (Q). Q1 comprend les joueurs nés de janvier à mars, Q2 d’avril à juin, Q3 de juillet à septembre et Q4 d’octobre à décembre.

Graphique
Fig. 2: Distribution des dates de naissance des joueurs des M15-M18, des espoirs intégrés dans le programme de promotion de J+S et de la population.

Distribution inégale

Dans les équipes nationales, presque la moitié des joueurs se trouvent dans Q1, alors que la norme voudrait qu’ils ne soient que 25% (voir population suisse). Ensuite, la proportion de joueurs diminue de trimestre en trimestre. Dans Q4, ils ne sont plus que 11%.

On observe la même tendance dans la promotion des espoirs J+S, à ceci près que le RAE est moins marqué étant donné que la pression liée à la sélection est moins forte. Il apparaît clairement deux catégories d’erreurs dans la sélection des talents:

  1. On encourage de «faux talents». Autrement dit, on sélectionne trop de joueurs dans Q1 sur la base de leur âge relatif élevé, des joueurs qui ne doivent leurs meilleures performances qu’à leur avantage physique momentané, mais qui ne comptent probablement pas parmi les «champions potentiels».
  2. On passe à côté de «vrais talents». Il se peut qu’on encourage trop peu de joueurs nés dans Q3 et Q4 qui affichent, en raison de leur retard physique momentané, de moins bons résultats. De vrais talents se perdent ainsi au profit de joueurs avantagés par l’effet de l’âge relatif.

Ceci prouve qu’il n’y a pas d’égalité des chances. Plus un joueur est né tôt dans l’année, plus il a de chance de jouer dans une sélection nationale.

 

Solutions possibles

Pour remédier aux effets pervers du RAE, il est nécessaire d’en parler dans les cours de formation continue destinés aux entraîneurs de la relève. La philosophie de formation de l’Association suisse de football (ASF) voudrait que la sélection des footballeurs se fasse plutôt en fonction de leurs qualités de jeu et de leurs qualités tactiques que de leur capacité de performance physique momentanée. Mais il ne s’agit là que d’une tendance.

En procédant à des modifications structurelles, on pourrait apporter des améliorations à long terme et bonifier qualitativement et quantitativement la pépinière de talents. Parmi les pistes évoquées dans les études scientifiques, citons:

  • l’introduction de plus petites classes d’âge (p. ex. deux par année);
  • l’instauration de quotas;
  • l’adoption d’autres critères de composition des équipes: taille ou poids plutôt que l’âge chronologique;
  • le décalage progressif des dates de référence.
Graphique
Fig. 3: Décalage de la date de référence et répercussion sur l’âge relatif

Suivre la bonne piste

PISTE, qui équivaut en toutes lettres à «Prognostisch Integrative Systematische Trainer-Einschätzung» (Pronostic intégratif et systématique par l’estimation de l’entraîneur) vise à standardiser le processus de sélection tout en améliorant sa transparence et sa pertinence. L’évaluation se fait sur la base de cinq critères:
– Performances en compétition
– Développement de la performance
– Caractéristiques psychologiques
– Biographie des sportifs
– Etat de développement biologique

C’est donc sur la base de ces critères et selon un systèmes de points qu’est établi le classement de sélection.